“Si les hommes étaient ainsi disposés par la Nature
qu'ils n'eussent de désir que pour ce qu'enseigne la vraie Raison, certes,
la société n'aurait besoin d'aucune lois, il suffirait absolument
d'éclairer les hommes par des enseignements moraux pour qu'ils fissent
d'eux-mêmes et d'une âme libérale ce qui est vraiment utile. Mais tout
autre est la disposition de la nature humaine; tous observent bien leur
intérêt, mais ce n'est pas suivant l'enseignement de la droite Raison;
c'est le plus souvent entraînés par leur seul appétit de plaisir et les
passions de l'âme (qui n'ont aucun égard à l'avenir et ne tiennent compte
que d'elles-mêmes qu'ils désirent quelque objet et le jugent utile. De là
vient que nulle société ne peut subsister sans un pouvoir de commandement
et une force, et conséquemment sans des lois qui modèrent et contraignent
l'appétit du plaisir et des passions sans frein.”
Le meilleur état
“Le meilleur Etat (...) est celui où les hommes vivent
dans la concorde et où la législation nationale est protégée contre toute
atteinte. En effet, il est certain que les séditions, les guerres,
l'indifférence systématique ou les infractions effectives aux lois sont
bien plus imputables aux défauts d'un Etat donné qu'à la méchanceté des
hommes. Car les hommes ne naissent point membres de la société, mais
s'éduquent à ce rôle; d'autre part, les sentiments humains naturels sont
toujours les mêmes. Au cas donc où la méchanceté régnerait davantage et où
le nombre de fautes commises serait plus considérable dans une certaine
nation que dans une autre, une conclusion évidente ressortirait d'une
telle suite d'événements : cette nation n'aurait pas pris de dispositions
suffisantes en vue de la concorde, et sa législation n'aurait pas été
instituée dans un esprit suffisant de sagesse.”
L'homme ne peut vivre qu'en société quoiqu'il en ait
“Il est rare que les hommes vivent sous la conduite de la
Raison ; mais c'est ainsi : la plupart se jalousent et sont insupportables
les uns aux autres. Néanmoins ils ne peuvent guère mener une vie
solitaire, de sorte que la plupart se plaisent à la définition que l'homme
est un animal politique ; et, de fait, les choses sont telles que, de la
société commune des hommes, on peut tirer beaucoup plus d'avantages que
d'inconvénients. Que les Satiriques rient donc autant qu'ils veulent des
choses humaines, ... et que les Mélancoliques louent, tant qu'ils peuvent,
la vie inculte et sauvage, qu'ils méprisent les hommes et admirent les
bêtes ; les hommes n'en feront pas moins l'expérience qu'ils peuvent
beaucoup plus aisément se procurer par un mutuel secours ce dont ils ont
besoin, et qu'ils ne peuvent éviter que par l'union de leurs forces les
dangers qui les menacent de partout ; pour ne pas dire d'ailleurs qu'il
est de beaucoup préférable, et plus digne de notre connaissance, de
considérer les actions des hommes que celles des bêtes.”