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Distinguons:
La culpabilité criminelle.
Les crimes sont constitués par des actes objectivement établis qui
contreviennent à des lois univoques. L’instance compétente, c’est le
tribunal, qui établit les faits selon la procédure formelle et leur
applique des lois.
La culpabilité politique.
Elle réside dans les actes des hommes d'État et dans le fait que, citoyen
d’un État, je dois assumer les conséquences des actes accomplis par cet
État, à la puissance duquel je suis subordonné et dont l’ordre me permet
de vivre. Chaque individu porte une part de responsabilité dans la manière
dont l'État est gouverné. L’instance compétente, c’est la force et la
volonté du vainqueur en politique intérieure comme en politique
extérieure. C’est le succès qui décide. On mettra un frein à l’arbitraire
et à la violence par la sagesse politique parce qu’on pense aux
conséquences plus lointaines, et parce qu’on reconnaît la validité des
normes s’imposant sous le nom de droit naturel et de droit des gens.
La culpabilité morale:
Les actes que j’accomplis sont toujours, en derniers ressorts,
individuels, et j’en suis moralement responsable; cela est vrai de tous
mes actes, mêmes politiques et militaires. La formule “un ordre est un
ordre” (Befehl ist Befehl ) ne peut jamais avoir de valeur décisive. Un
crime reste un crime même s’il a été ordonné (bien que, selon le degré de
danger, de coercition tyrannique et de terreur, on puisse admettre des
circonstances atténuantes) ; et de même tout acte reste soumis également
au jugement moral. L’instance compétente, c’est la conscience
individuelle, c’est la communication avec l’ami et le prochain, avec le
frère humain capable d’aimer et de s’intéresser à mon âme.
La culpabilité métaphysique:
Il existe entre les hommes, du fait qu’ils sont des hommes, une solidarité
en vertu de laquelle chacun se trouve co-responsable de toute injustice et
de tout mal commis en sa présence, ou sans qu’il les ignore. Si je ne fais
pas ce que je peux pour les empêcher, je suis complice. Si je n’ai pas
risqué ma vie pour empêcher l’assassinat d’autres hommes, si je me suis
tenu coi, je me sens coupable en un sens qui ne peut être compris de façon
adéquate, ni juridiquement, ni politiquement, ni moralement. Que je vive
encore, après que de telles choses se sont passées, pèse sur moi comme une
culpabilité inexpiable. En tant qu’hommes, si la chance ne nous épargne
pas une telle situation, nous nous trouvons acculés à la limite où il nous
faut choisir: ou bien risquer notre vie dans l’absolu, sans but parce que
sans perspective de succès, ou bien préférer rester en vie puisque le
succès est exclu. Quelque part, dans la profondeur des rapports humains,
s’impose une exigence absolue: en cas d’attaque criminelle, ou de
conditions de vie menaçant l’être physique, n’accepter de vivre que tous
ensemble, ou pas du tout; c’est ce qui fait la substance même de l’âme
humaine. Mais il n’en est ainsi ni dans la communauté de tous les hommes,
ni parmi les citoyens d’un État, ni même à l’intérieur de groupes plus
petits; la solidarité reste limitée aux liens humains les plus étroits et
c’est ce qui fait notre culpabilité à tous. L’instance compétente, c’est
Dieu seul.
Quand on distingue ainsi quatre notions de culpabilité, le sens des
reproches qu’on nous adresse apparaît plus clairement. Ainsi la
culpabilité politique, par exemple, signifie bien que tous les citoyens
ont à répondre des conséquences des actes accomplis par l'État mais elle
ne signifie pas que chaque citoyen individuellement se trouve chargé d’une
culpabilité criminelle et morale concernant les crimes qui furent commis
au nom de l'État. Le juge décide ce qui a trait aux crimes, le vainqueur
ce qui a trait à la responsabilité politique. Parler de culpabilité morale
n’a de sens véritable que pour des hommes qui s’affrontent pour leur bien,
avec un sentiment d’amour fraternel et en pleine conscience de la
solidarité qui les lie. La culpabilité métaphysique peut se révéler,
peut-être, dans telle situation concrète, dans une œuvre poétique ou
philosophique, mais elle n’est guère communicable directement à autrui. En
ont le plus profondément conscience ceux qui ont atteint une fois le
domaine de l’absolu et qui ont par là même fait l’expérience de leur
échec: ils n’ont pas su rester fidèles à cet absolu à l’égard de tous les
hommes. Il leur en reste une honte qui ne les quitte jamais, dont
l’origine ne se laisse pas dévoiler dans sa réalité concrète, et qu’ils ne
peuvent tout au plus, que commenter en termes abstraits.
EFFETS DE LA CULPABILITÉ:
La culpabilité a des effets extérieurs, pour la vie de l’individu, que
celui-ci s’en rende compte ou non; et elle a des effets intérieurs,
lorsque, en prenant conscience de ma culpabilité, je vois clair en moi.
a) Le crime grave trouve son châtiment. Il faut comme condition
préalable que le juge reconnaisse que le coupable a agi librement; mais il
n’est pas nécessaire que celui qui est châtié reconnaisse être châtié à
bon droit.
b)La culpabilité politique entraîne la responsabilité pénale (Haftung)
qui a pour conséquences les réparations et en outre la perte ou la
limitation du pouvoir et des droits politiques. Au cas où la culpabilité
se trouve liée à des événements dont l’issue dernière dépend de la guerre,
alors les effets pour les vaincus peuvent être l’anéantissement, la
déportation, l’extermination. Ou bien il dépend du vainqueur de transposer
les conséquences sur le plan du droit, et par là de la modération s’il le
veut.
c) La culpabilité morale suscite une prise de conscience, et ainsi
le repentir et le renouvellement de soi. Il s’agit là d’un processus
intérieur qui aura ensuite aussi des conséquences objectives dans le monde
extérieur.
d) La culpabilité métaphysique a pour conséquence une
transformation de la conscience que l’homme a de lui-même devant Dieu.
L’orgueil est brisé. Cette transformation de soi, résultant d’une action
tout intérieure, peut faire jaillir une source neuve de vie active, mais
qui restera liée désormais irrémédiablement à un sentiment de culpabilité.
Dès lors, l’humilité rend l’homme modeste devant Dieu, et toute son action
baigne dans une atmosphère qui exclut à jamais la présomption. |
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Rapport à l'autre
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